Que nous dit la collection type d’Auchenorrhyncha du musée de La Plata ?

Par Adeline Soulier-Perkins

Lorsque je suis arrivée au Musée de La Plata et que mes collègues m’ont fait découvrir la collection des Auchenorrhyncha (Hemiptera, Insecta), ils m’ont donné quelques clés pour comprendre comment est organisée cette collection afin d’y trouver mon chemin. Il existe une collection générale principale dans laquelle ont été intégrées toutes les collections préalablement constituées par les scientifiques de l’institution ou constituées par des collectionneurs. Les spécimens provenant de donc de collections nominales sont identifiés par une étiquette ronde de couleur choisie en fonction de sa collection d’origine. Un deuxième choix d’importance a été fait dans la conservation de la collection des Auchenorrhyncha. Les spécimens types et les spécimens étiquetés « cum Typo Comparat ». (fig.1), c’est-à-dire « comparé au type », sont séparés de la collection principale et conservés dans une typothèque. Ici aussi, les spécimens issus d’une collection nominale sont identifiés à l’aide d’une étiquette ronde de couleur. Dans cette typothèque bien ordonnée, quatre collections nominales sont représentées, celles de Carlos Berg, Juan M. Bosq, Pedro C. Denier et Alexander Oglobin et les étiquettes colorées associées sont respectivement bleues, roses, grises et blanches. Berg et Oglobin sont bien représentés dans cette typothèque avec respectivement 185 et 181 étiquettes épinglées, puis Bosq et Denier avec 10 et 4.

La Plata, comme la plupart des musées que j’ai visités, possède une collection d’Auchenorrhyncha composée de matériel à sec, monté sur des épingles. La typothèque est rangée dans un meuble à tiroirs métalliques. Dans chaque tiroir, quatre boîtes entomologiques de petit format peuvent être disposées à plat (fig.2). Huit tiroirs sont actuellement dédiés à la typothèque des Auchenorrhyncha et actuellement 19 boites sont occupées. Si l’identification et le numéro de type enregistré sont généralement placés sous chaque spécimen, une épingle, portant les deux informations, est aussi placée en tête de ligne des spécimens identifiés sous ce nom. A l’heure actuelle cette typothèque compte 1086 spécimens qui représentent 270 espèces décrites. Cependant, même s’il ne s’agit pas d’Auchenorrhyncha mais de Sternorrhyncha, onze types de Psyllidae sont localisés aussi dans cette typothèque. De nombreux spécimens types sont également référencés dans cinq publications importantes les répertoriant (Foieri & Marino de Remes Lenicov 2019, Marino de Remes Lenicov et al. 2010 et 2015, Paradell et al. 2008 et 2010). Ces articles couvrent respectivement les groupes Cercopoidea ; Membracidae ; Cicadidae ; Typhlocybinae et Deltocephalinae ; et Cicadellinae et Gyponinae. De plus, quelques familles de Fulgoromorpha sont également présentes dans la typothèque : les Dictyopharidae (16), Flatidae (9), Delphacidae (338), Fulgoridae (2), Cixiidae (12), Issidae (4), Achilidae (3) et Acanoloniidae (4).

Des collections nominales

Bosq a travaillé entre 1930-1950 à la Section de Zoologie Agricole de l’Institut de Santé des Végétaux du Ministère de l’Agriculture de la Nation (Lanteri 2021), et sa collection était principalement composée de coléoptères ce qui explique que j’ai rencontré ici peu de spécimens portant une étiquette rose. Sa collection a été acquise lorsque Torres était chef de la section entomologique et les 10 spécimens de la typothèque sont des cigales dont Torres était un spécialiste internationalement reconnu.

Denier est arrivé sur le territoire national du Chaco dans les années 1930 en tant que chef du laboratoire d’entomologie de la section sanitaire du coton du Conseil national du coton. Il a consacré sa vie à étudier et à collectionner les insectes. Quatre d’entre eux se retrouvent dans la typothèque comme holotypes d’espèces décrites par Linnavuori en 1959 et appartenant aux Cicadellidae, Deltocephalinae.

Ogloblin est arrivé en Argentine à la fin des années 1920. Il a vécu quelque temps dans la station expérimentale de Loreto avant de revenir à Buenos Aires. Il a eu de nombreux échanges épistolaires avec Bruch dans lesquels il manifeste son intérêt pour la taxonomie, notamment pour les Hyménoptères, et fait état du contexte dans lequel il a échantillonné dans cette région riche en faune. Les Cicadellidae, Typhocybinae et Deltocephalinae de sa collection ont été décrites plus tard par Beamer en 1943, Torres en 1955 et 1959 et Linnavuory en 1959.

Le matériel de Berg est bien représenté dans la typothèque car il a non seulement collecté des Auchenorrhyncha, mais il en a également décrit beaucoup et son matériel semble réellement être à la base de la structure de la typothèque puisqu’il apparaît comme faisant partie du matériel le plus ancien collecté ici.

Qui a décrit ces types ?

Berg est à nouveau en tête avec 99 espèces décrites. Les espèces ont été généralement décrites entre 1879 et 1885 et comme c’était souvent le cas à l’époque, Berg a décrit des espèces appartenant à diverses familles : Dictyopharidae, Flatidae, Fulgoridae, Delphacidae, Cixiidae, Issidae, Acanoloniidae (Fulgoromorpha), Cicadellidae, Membracidae, Aphrophoridae et Cercopidae (Cicadomorpha).

Avec Torres on constate une évolution dans les pratiques, son champ de description est plus restreint car parmi les 44 espèces qu’il a décrites, 31 appartiennent à la même famille, les Cicadidae et 3 aux Cicadellidae, ces deux familles faisant partie des Cicadomorpha. Torres a décrit ces espèces entre 1942 et 1964. Depuis l’époque de Berge, en un peu plus d’un demi-siècle, on peut constater que les pratiques de travail ont changées. Les taxonomistes ont tendance à concentrer leurs efforts sur un groupe choisi, l’époque où les taxonomistes travaillaient sur tous les groupes d’insectes est révolue.

Le troisième descripteur important de cette typothèque est Marino Remes de Lenicov. Elle a décrit au total 41 espèces entre 1970 et 2018. Disciple de De Santis qui a dirigé la division Entomologie de 1966 à 1983 (Lanteri 2021), elle a une longue carrière en taxonomie avec laquelle on peut observer d’autres changements et évolutions dans la pratique des taxonomistes. Elle collabore avec des étudiants et des collègues et publie avec eux de nouvelles espèces. Ces publications à plusieurs auteurs sont une nouvelle étape dans l’évolution des pratiques. Ainsi, elle a décrit des espèces appartenant à quatre familles Dictyopharidae, Delphacidae (Fulgoromorpha) et Cicadellidae et Membracidae (Cicadomorpha). Les espèces portent parfois seulement son nom, ce qui est le cas pour 29 espèces décrites, mais pour les 19 autres son nom est associé à divers auteurs. Il est fort probable qu’au travers de ses collaborations, elle ait également étendu son expertise à plusieurs familles.

Il est aussi intéressant de remarquer que sauf chez Berg, les collectionneurs ne sont pas forcément les descripteurs. Et souvent, ce n’est qu’après l’accumulation dans les collections de matériel provenant de diverses missions, qu’un spécialiste d’un groupe donné peut alors travailler en taxonomie sur le groupe et décrire un certain nombre d’espèces.

Cette typothèque est exclusivement constituée d’espèces trouvées en Amérique du Sud. La majorité des espèces ont été collectées en Argentine. A cela viennent s’ajouter, quelques espèces collectées en Uruguay, au Paraguay, en Bolivie, au Chili, au Venezuela, au Pérou, en Équateur et au Brésil. La province la plus riche, en nombre d’espèces, semble être Buenos Aires avec 65 espèces, viennent ensuite quelques provinces du nord du pays : Misiones, (25), Corrientes (17), Chaco (14), Salta (14), Tucumán (13) et Cordoue (13). Si intuitivement il y a une certaine logique à penser qu’un gradient sud-nord où la richesse en espèces augmente à mesure que l’on se rapproche du tropique, le grand nombre d’espèces décrites pour Buenos Aires est plus probablement le résultat d’un plus grand nombre d’explorations et de collectes que d’une plus grande richesse en espèces par rapport au reste du pays. Le fait qu’aucune espèce n’ait été décrite de Chubut ou de Santa Cruz souligne en fait la nécessité d’une exploration dans ces provinces. Ce sont de vastes provinces dans lesquelles on peut s’attendre à trouver de nouvelles espèces même si elles sont situées très au sud. La Terre de Feu se trouve à l’extrême sud du pays mais des explorations y ont été menées et 4 espèces ont été décrites de cette province.

L’exploration de cette typothèque peut mettre en lumière l’histoire de sa composition, qui l’a travaillée et constituée avec son travail d’exploration, de collecte et de description de la biodiversité Argentine et de ses environs. Cela permet également d’avoir une idée sur la direction dans laquelle devraient s’orienter les prochains efforts d’exploration et d’étude.

Remerciements

Je voudrais exprimer ici toute ma gratitude à Pablo Dellape qui m’a permis d’accéder aux collections, à Susana Paradell et Jorges Salas qui m’ont accompagnée pendant mon séjour et m’ont guidée si généreusement dans mes enquêtes ainsi qu’Alvaro Foieri et Ana Marino de Remes Lenicov. Merci à Sara Montemayor qui m’a toujours aidée et partagé sa bonne humeur. Merci à tous pour votre gentillesse et pour le partage de vos connaissances. Cette mission a été réalisée dans le cadre du projet européen SciCoMove (MSCA-RISE).

Références

Foieri, A. & Marino de Remes Lenicov, A. 2019. Cercopoidea types (Hemiptera-Cicadomorpha) housed at the Museo de la Plata entomological collection (Argentina). Papéis Avulsos de Zoologia, v.59: e20195916. http://doi.org/10.11606/1807-0205/2019.59.16

Lanteri, A. 2021. Museo de La Plata testimonio del pasado que se proyecta hacia el futuro. Edulp (eds), Buenos Aires, Argentina, 448pp.

Marino de Remes Lenicov, A.M. de; Mariani, R.; Scelsio, N. & Gutierrez, A. 2010. Membracidae types (Hemiptera-Membracoidea) housed at the Museo de La Plata entomological collection (Argentina). Zootaxa, 2566: 21‑38.

Marino de Remes Lenicov, A.M. de; Maciá, A. & Pianzola, B. 2015. Cicadidae types (Hemiptera-Cicadomorpha) housed at the Museo de La Plata entomological collection (Argentina). Zootaxa, 3974(3): 301‑327.

Paradell, S.L.; Dellapé, G. & Catalano, M.I. 2008. Los ejemplares tipo de Typhlocybinae y Deltocephalinae (Hemiptera: Auchenorrhyncha: Cicadellidae) depositados en el Museo de La Plata, Argentina. Revista de la Sociedad Entomológica Argentina, 67(3‑4): 37‑43.

Paradell, S.L.; Dellapé, G.; Catalano, M.I. & Defea, B. 2010. Los ejemplares tipo de Cicadellinae y Gyponinae (Hemiptera: Auchenorrhyncha: Cicadellidae) depositados en el Museo de La Plata, Argentina. Revista de la Sociedad Entomológica Argentina, 69(1‑2): 1‑7.

Figure 1: étiquettes: cum typo comparat. et en bleue la collection Berg.

Figure 2: tiroirs contenant les boites de spécimens types de la typothèque.


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alexiacomte (October 20, 2023). Que nous dit la collection type d’Auchenorrhyncha du musée de La Plata ? SciCoMove — Scientific Collections on the Move. Retrieved April 28, 2025 from https://doi.org/10.58079/twv0


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